Willy Ronis (1910-2009), est un photographe français majeur du XXème siècle dont l’oeuvre humaniste s’est imposée à travers le monde. Il est d’ailleurs, selon certains, l’un des fondateurs du courant de la photographie humaniste qui nait en France (avec Henri Cartier-Bresson, Edouard Boubat et Robert Doisneau).
J’ai, pour ma part, rencontré l’oeuvre et le travail de ce photographe un peu par hasard. Une visite de l’Isle-sur-la-Sorgue me mène jusqu’à une petite place et un pupitre d’information quant au lieu. Est présentée la photographie de Willy Ronis le « Café de France ». L’établissement est toujours là, dans son jus (fermé parce que nous sommes en février). La photo me saisit par sa composition « théâtrale », ses lignes, son dynamisme général d’une scène qui semble prise sur le vif. Un beau moment de vie quotidienne. Il ne faut pas plus que ce coup de cœur inattendu pour attiser ma curiosité quant à ce photographe dont je ne connais que vaguement le nom (honte à moi).
Willy Ronis, le photographe humaniste
Naissance d’une passion pour la photo
Son père, photographe, lui offre son premier appareil photo alors qu’il a 15 ans. Cependant, la photographie ne reste qu’un loisir pour lui car Willy Ronis se destinait à devenir compositeur de musiques.
Il est à la recherche d’une photographie différente de celle que son père peut pratiquer dans son studio. Il est attiré par quelque chose de moins académique, et de plus vivant.
En 1932, son père malade lui demande de venir l’aider au studio. Il va y découvrir le développement. Cette immersion dans le monde de la photo et sa curiosité vers une pratique moins conventionnelle vont l’entrainer vers un style photographique qui lui convient davantage : la vie quotidienne des gens.
Paris devient son terrain de jeu. Il enrichit sa culture photographique en visitant de nombreuses expositions de photos.
Willy Ronis réalise son premier reportage en 1935 dont les photos paraitront dans une revue. Il réalise des clichés des manifestations menées par la Gauche (qui mèneront à la création du Front Populaire).
Après-guerre, à Paris et en Europe
Par la suite, Willy Ronis réalise de nombreux reportages pour de célèbres revues à travers le monde.
Cependant, sa volonté d’indépendance se confronte parfois assez violemment avec l’approche que ses commanditaires souhaitent avoir avec ses photos.
C’est pourquoi il ne travaillera d’ailleurs plus avec Life après un désaccord de ce genre.
La vie dans le Vaucluse
Des reportages l’avaient déjà mené dans le sud de la France (ainsi que la période de guerre), mais maintenant il s’y installe.
En 1972, il décide de quitter Paris pour L’Isle -sur-la-Sorgue. Son exigence à avoir un droit de regard sur l’utilisation qui est faite de ses photos va l’éloigner de la photographie professionnelle. Il va alors consacrer beaucoup de son temps à l’enseignement (à l’École Supérieure d’Art d’Avignon, puis dans les universités d’Aix-en-Provence et Marseille).
La photographie humaniste
La photographie humaniste défend l’idée que l’environnement quotidien et immédiat d’un sujet possède autant d’importance que le sujet lui-même.
Certains lieux comme la rue, les parcs ou le bistrot sont des espaces de liberté et de convivialité. Ils laissent donc entrevoir la vie intime ou publique de ceux qui les peuplent naturellement.
Mais ce n’est pas un hasard si cette photographie humaniste voit le jour dans l’après-guerre, dans les grandes villes comme Paris ou sa banlieue. Car la photographie humaniste trouve bien sa source en France. Quelques photographies ayant fait le tour du monde (comme Le Baiser de l’Hôtel de Ville de Robert Doisneau publié dans Life) ont permis de reconnaitre la paternité française à ce mouvement photographique.
Les difficultés manifestes de cette période, la pauvreté et l’injustice d’une vie dure et éprouvante, ont permis de faire immerger la photographie humaniste. Cette nouvelle approche se situe entre le reportage et la photographie de rue.
Petits bonheurs et difficultés du quotidien se mêlent pour donner une véritables image de l’état des choses. Ceci se fait sans voyeurisme mais plutôt avec bonté.
Le monde du travail comme celui des loisirs sont un terreau fertile pour la photographie humaniste.
La vision humaniste de Willy Ronis
Si les critiques qualifient parfois de manière péjorative son oeuvre de « sentimentaliste« , Willy Ronis s’attache une photographie humaniste qu’il défend. Elle regarde son sujet avec tendresse et bienveillance. C’est ainsi que sa vision du monde s’exprime.
Il possède ce talent qui consiste à saisir la joie de vivre en toutes occasions.
Son travail s’appuie sur l’instant (un peu comme « l’instant décisif » d’Henri Cartier-Bresson). C’est pourquoi jamais il ne réalise de mise en scène pour servir son sujet.
« En général, je ne change rien à ce qui se passe, je regarde, j’attends. […] Il y a un vrai plaisir à trouver la place juste, cela fait partie de la joie de la prise de vue, et c’est quelquefois aussi un tourment, parce qu’on espère des choses qui ne se passent pas où qui arriveront quand vous ne serez plus là«
Willy RONIS
L’Homme, dans son quotidien, est le sujet de la photographie humaniste de Willy Ronis, représenté sans artifice mais avec ce qui a été appelé le réalisme poétique (une référence à un style cinématographique débuté dans les années 30).
Réalisme, car les différentes interactions de cette vie sont bien réelles.
Poétique, car le destin et la fatalité ont conduit à ce qu’est cette réalité.
Pourquoi j’aime le travail de Willy Ronis
A la découverte de ce photographe, j’ai immédiatement aimé son travail pour le dynamisme de ses images. La force dynamique est partout dans une image de Willy Ronis.
Reprenons celle par laquelle je suis entrée dans le monde de ce talentueux photographe : « Le café de France« , situé à L’Isle-sur-la-Sorgue.
Malgré l’aspect statique des personnes attablées ou de la devanture de ce bistrot (quoi de plus statique qu’un mur !), le photographe a réussi à inclure une réelle dynamique, du mouvement suggéré :
- la passante floue en bas à gauche démontre parfaitement le mouvement. Toute la place laissée devant elle dans le cadre lui permet de terminer sa course.
- la position des pieds des chaises forment deux diagonales qui se rejoignent pile sur la femme qui sort du bistrot. Ceci a pour effet d’apporter de la dynamique à cette personne. Ainsi nous avons l’impression qu’elle avance vers le spectateur. Un boulevard lui est ouvert.
- le rideau de la porte du bistrot est drapé comme celui d’un théâtre. Cela donne encore davantage de puissance à la femme qui s’avance, comme si elle entrait en scène. Le déplacement est ainsi suggéré.
- les différents groupes de personnes suggèrent qu’il y a de la vie, des échanges.
Et c’est pour toutes ces raisons que je trouve cette image très émouvante. Et ceci, même si en fait, au premier regard, il ne s’agit que de la devanture d’un bistrot assez quelconque, une simple scène de la vie quotidienne.
Jouez à prendre d’autres images de Willy Ronis et observez attentivement les lignes directrices, la composition minutieuse, la dynamique générale, l’humanité qu’il met dans ses photos…
S’inspirer de ce photographe fera de vous un photographe plus humain.