La photographie et le cinéma ne sont pas toujours très éloignés l’un de l’autre. Certains films ou certaines séries utilisent de manière frappante les techniques de composition basiques de la photographie. Ils créent ainsi un univers visuel très singulier sur certains plans, particulièrement esthétiques et artistiques.
J’ai toujours regardé la série « The Handmaid’s Tale » avec un œil de photographe tant le soin apporté à la composition des images est maitrisé photographiquement. Je regardais à nouveau dernièrement cette série. Et chaque fois, je suis emportée par la qualité de l’image et l’approche photographique apportée à certains plans. Je suis tout à fait dans mon élément de photographe. J’y retrouve certains codes qui me sont familiers.
La photographie et le cinéma
Pour cet article j’ai délibérément choisi d’appréhender le parallèle qui existe entre la série « The Handmaid’s Tale » et les règles de composition inhérents à la photographie. Cependant de nombreux films narratifs issus du cinéma travaillent minutieusement leur photographie. Ce n’est pas pour rien qu’il y a un directeur de la photographie sur les plateaux de tournage…
Il existe bien sûr de nombreux films qui m’inspirent ce sentiment « photographique » : « Kill Bill » de Tarantino, « Le fabuleux destin d’Amélie Poulain » de Jean-Pierre Jeunet, « Taxi Driver » de Martin Scorsese ou « Bienvenue à Gattaca » d’Andrew Niccol… Je ne cite que ceux-là mais la liste peut être très longue…
La photographie et le cinéma sont parfois indissociables. Cela parce qu’ils ont un soucis commun de l’esthétisme poussé à son paroxysme. Pourtant, un film n’est-il pas sensé être une oeuvre narrative ?
Et si j’ai évoqué juste précédemment le « sentiment« , ce n’est pas anodin. La photographie est un art qui suscite de l’émotion à l’aide d’une seule image (sauf pour une série photographique, cet ensemble d’images cohérentes entre elles).
Et le cinéma n’est-il pas le résultat de 24 images par seconde ? Soit 24 fois plus d’émotion par seconde…
« The Handmaid’s Tale »

Si vous ne connaissez pas « The Handmaid’s Tale », visionnez quelques épisodes afin d’entrer davantage dans le sujet de cet article. Et je vous promets qu’en tant que photographe vous allez être subjugué par les images.
Pour resituer un peu l’oeuvre, il faut savoir que la série est l’adaptation du roman « La Servante écarlate« écrit par Margaret Atwood en 1985. Dans un avenir pas si éloigné, pollutions environnementales et maladies sexuellement transmissibles ont entraîné une baisse drastique de la fécondité. Le taux de natalité est extrêmement bas. Les « Fils de Jacob », une secte politico-religieuse en a profité pour prendre le pouvoir suite à un coup d’Etat. Les relations hommes/femmes obéissent dorénavant à des règles très strictes. Le pouvoir est exclusivement aux mains des hommes. Les femmes ont été déchues de tous droits. Elles ne peuvent ni travailler, ni lire, ni écrire… Elles sont sous une surveillance permanente, hiérarchisées selon leur fonction : les servantes (vêtues de rouge écarlate) ne servent qu’à la reproduction (affectées à des couples stériles de la caste dirigeante).
Le sujet est fort. Il renvoie sans nul doute à certaines dictatures historiques du passé. Un esthétisme soigné des images sert les différents sentiments que fait naitre cette oeuvre chez le spectateur : anxiété, oppression, douleur, espérance…
La photographie dans « The Handmaid’s Tale »
La série est remplie de plans faisant référence aux règles de composition empruntées à la photographie. Je n’évoque ici que quelques unes de ces règles. Et je vous propose de voir également comment elles se mêlent et se complètent.
La plongée
La soumission est un aspect très présent dans la série. De fait, l’angle de prise de vue en plongée est largement utilisé. Il permet une sorte d’écrasement visuel des personnages de la même manière qu’ils le sont par le système dictatorial en place.

Cette vision en plongée d’une parfaite verticalité a aussi pour but de déshumaniser les personnages. Ils sont alors rendus pratiquement plus reconnaissable comme êtres humains. Ils prennent des formes qui les éloignent d’une silhouette humaine.

Le choix de la plongée sert le message. En même temps, cela renforce ce dernier grâce à un esthétisme dont l’objectif est purement émotionnel.
Les lignes directrices
Souvent, des lignes directrices permettent de diriger le regard du spectateur vers les points d’intérêt. Elles apportent une certaine dynamique vers un message subtil. Ce procédé rappelle la manipulation dont le genre de régime politique de la série use.

Cette dynamique représente un peu l’élan de l’inconscient collectif vers un même objectif. Car le travail de la composition est bien de l’ordre de l’inconscient : l’organisation des éléments dans le cadre a un but bien précis, celui de faire passer un message ou faire ressentir une émotion.
Sur cette image, avec cet effet de masse, il y a un réel clin d’œil (pas du tout dissimulé) aux défilés militaires impressionnants de rigueur, jetés à la face du monde, par certains régimes totalitaires.
La symétrie
Quoi de plus rigide qu’une symétrie dans une image ? Un régime dictatorial.

C’est pourquoi la symétrie est une règle de composition largement utilisée dans « The Handmaid’s Tale ». La rigueur d’une image symétrique convient parfaitement à l’atmosphère de la série.
Mais la symétrie représente également la perfection : rien ne dépasse, rien ne transgresse. Ou bien seulement l’illusion de celle-ci…
Ici les lignes horizontales courtes et coupées ne laissent aucune possibilité pour le regard de voyager dans l’image. Il est comme enfermé dans le cadre, barricadé sans issue. Et c’est précisément l’effet escompté. De plus, la perfection symétrique, accentuée par la plongée, répond aux exigences de l’ordre du régime en place dans la série.
Les contrastes
Les contrastes idéologiques véhiculés par la série sont appuyés par des contrastes de couleurs.

Le rouge du vêtement des servantes, couleur chaude, est largement associé à des couleurs froides (bleu, vert) afin d’accentuer le contraste des couleurs. Ainsi, ceci donne une dynamique colorimétrique qui captive et attire le regard.

Sur cette image, une ligne diagonale vient accentuer la dynamique en permettant à l’œil de suivre le même cheminement que les servantes. Il les accompagne sur un trajet qui les mène « on ne sait où » puisque l’environnement est complètement épuré, ne donnant aucun indice sur la destination ou le lieu actuel. Voici une façon encore de montrer la servitude, l’incompréhension de son sort et l’incertitude de son destin.
La multiplication
La multiplication d’éléments identiques dans la totalité du cadre est un moyen de composition qui peut permettre de créer l’ambiguïté ou un sentiment d’oppression.

Les servantes ont, dans cette oeuvre de fiction, un strict rôle de « reproductrices » qui choque et dérange. Des images telles que celle-ci mettent vraiment mal à l’aise. La multiplication apporte un degré supplémentaire dans cette atmosphère : la servante n’est pas un cas isolé mais la règle.
De plus, le contraste appuyé des coiffes blanches sur la tunique rouge amplifie le malaise.
La symbolique tient une place importante dans la série. Ici, le contraste du blanc de « l’immaculé conception » (le régime est politico-religieux) joue et se renforce avec le rouge du sang de l’enfantement.
Le point de vue
A plusieurs reprise, un point de vue inquisiteur est privilégié, souvent dans les scènes les plus intimes.

Le choix du point vue, comme nous l’avons déjà constaté avec la plongée, n’est jamais anodin. Il révèle d’une volonté, pour le photographe comme pour le cinéaste, d’intégrer le spectateur d’une certaine manière dans ce qui se joue devant lui. Il s’agit d’une invitation imposée.
Photographie et cinéma imposent de la même façon une certaine vision de la scène au spectateur : voyeur de premier plan ou spectateur lointain.
C’est pourquoi les choix photographiques ainsi que cinématographiques peuvent complètement modifier une scène, un message, une atmosphère.
Photographie et cinéma : la force des images
L’image possède un pouvoir indéniable. Elle est forte de signification immédiatement compréhensible et de symbolisme moins évident au premier abord. Les règles de composition appliquées en photographie servent de la même manière le cinéma.
Ainsi, un film narratif peut également user de l’esthétisme photographique pour accentuer son message « vocal« . Une image sans mot peut faire passer un véritable message à condition d’être bien construite.
Même si les dialogues et l’image narrative demeurent les points centraux d’une production cinématographique, un plan fort donne une autre dimension. Par là je soutiens que quelques plans soignés comme une photo apportent une force émotionnelle supplémentaire. Cette dernière vient compléter un ressenti existant.
superbe parallèle !
j’aime regarder certains films avec un œil de photographe 😉
superbe parallèle !