Dorothea Lange est une grande photographe reporter américaine qui va révolutionner sa profession dès 1935 en quittant son studio photo pour aller dans la rue et photographier les effets désastreux de la Grande Dépression sur les personnes et plus particulièrement les familles.
Il y a quelques jours je suis tombée par hasard dans les rayons d’une médiathèque sur un livre dédié au travail de Dorothea Lange. Il s’agit d’un tout petit format carré avec le texte en anglais. Cet ouvrage se présente comme une belle rétrospective des images de la photographe entre 1933 et 1955.
J’aime son travail car je trouve qu’il est auréolé d’une vraie empathie pour les sujets qu’elle photographie. Les femmes photographes sur le terrain sont suffisamment peu nombreuses à l’époque pour que l’on souligne son travail. D’ailleurs je trouve qu’elle a une approche unique et humaine qui lui est propre (attention, je ne dis pas que les hommes sont moins humains). Je me dis qu’il ressort une réelle touche féminine dans la manière qu’elle a de faire un portrait avec toute la bienveillance du à son sujet.
Dorothea Lange : l’origine
La portraitiste
La jeune Dorothea Lange suit des cours de photographie à l’université de Columbia à New-York. Dès 1918, alors qu’elle a 23 ans, elle part pour San Francisco où elle ouvre un studio photo. Elles devient portraitiste et photographie les familles huppées de la ville.
Après plusieurs années, la portraitiste pousse la porte de son studio pour aller photographier la rue. D’autant plus que la rue est en ébullition : c’est la Grande Dépression. Elle ne peut plus concevoir la photographie comme une pratique commerciale. Elle sent qu’elle doit aller au-delà pour raconter la rue, les gens, les familles…
Il faut vraiment utiliser l’appareil photo comme si on devait être frappé de cécité demain.
Dorothea Lange
La photographe de rue
En 1933, elle quitte définitivement son studio pour la rue. Et pas besoin d’aller très loin pour témoigner de ce qui se passe en Amérique à cette époque. Quatorze millions de personnes se retrouvent sans travail. Les files de personnes s’allongent devant les « White Angel » qui distribuent de la soupe aux plus démunis.
Dorothea Lange est là et son appareil photo en témoigne. Son intention photographique s’affine au fur et à mesure de ses sorties. Elle prend conscience du pouvoir de son appareil photo : « une photo est un outil d’action politique ».
En 1934, elle expose pour la première fois ses photos de rue. C’est grâce aux images qu’elle réalise à cette époque que la Farm Security Administration (FSA / L’administration de la sécurité des paysans) repère son travail.
La photoreporter
La FSA lui confie un travail documentaire, de collection de données quant aux conditions de vie que rencontrent les paysans du Middle West. Ainsi elle travaille sur le changement en profondeur que subit l’agriculture américaine en pleine Grande Dépression. Beaucoup de fermiers sont contraints à l’exode vers l’ouest et la Californie.
Et elle va accompagner cette migration massive de familles de fermiers, ce déplacement de population sans précédent, avec sa sensibilité et une empathie sincère qui se voient à travers ses clichés.
L’une de ses photos les plus célèbres témoigne de l’extrême sensibilité dont elle fait preuve afin de monter la détresse de ces exilés lancés sur les routes. Ils avancent aussi loin que possible, suivant le peu de travail et les récoltes saisonnières.
L’histoire de cette image est poignante. La femme de 32 ans vit maintenant sur le bord de la route ne pouvant pas aller plus loin car elle a du vendre les pneus de leur voiture pour acheter de la nourriture. Des histoires comme celle-ci pullulent aux bords des routes.
Le témoignage de Dorothea Lange
Les photos de Dorothea Lange sont reconnues pour la justesse avec laquelle la photographe parvient à montrer l’existence éprouvante des paysans exilés. La force de son travail va pousser les autorités qui l’emploient à élargir sa zone d’action jusqu’au Nevada, Arizona, Nouveau Mexique et Utah.
Au-delà du témoignage qu’elle apporte pendant le Grande Dépression, Dorothea Lange travaille ses images et diversifie ses thèmes.
Ses thèmes de prédilection
Dorothea Lange concentre son intérêt sur des aspects émotionnels et visuels particuliers :
- la fatigue
- la force des femmes
- les familles
- les détails significatifs
- les abris temporaires des migrants
- les absurdités de situations
Toutes les communautés
Indifféremment, Dorothea Lange photographie les exilés blancs comme les noirs. Les deux communautés sont touchées de la même manière par la crise et elle ne fait aucune différence.
En 1942, Dorothea Lange photographie l‘évacuation (déportation) des américains d’origine japonaise sur le territoire. Ils sont rassemblés, suite à un ordre exécutif du président Franklin D.Roosevelt dans des camps après l’attaque de Pearl Harbor.
Mandatée pour couvrir l’évacuation, Dorothea Lange photographie ces familles avec toute la dignité dont elle est capable (grâce à son immense talent) afin de palier à l’indignité avec laquelle ils sont traités.
Dorothea Lange photographie ces portraits de famille comme une photo de famille prise en studio (réminiscence de ses débuts). Elle s’attache aux expressions corporelles, attitudes et postures physiques dignes.
L’approche empathique de Dorothea Lange
C’est l’empathie bienveillante avec laquelle elle travaille qui donne une telle puissance à ces clichés, et notamment avec les portraits.
Dorothea Lange parle avec les gens. Elle tisse des liens qui lui permettent d’entrer dans l’intimité des personnes qui se laissent alors photographier dans des moments durs, comme le désespoir, la fatigue… Mais il ne s’agit pas de liens calculés pour parvenir à une bonne image. Ce sont des rapports réels entre individus de monde certes différents mais unis dans le moment présent, le moment de la prise de vue.
Aucun de ses portrait n’est volé. Les gens paraissent calmes devant l’objectif. Ceci lui permet de prendre le temps de la composition et soigner certains détails. Cette confiance mutuelle lui permet de réaliser exactement le cliché qu’elle veut faire.
Un de ses assistants témoignera de l’avoir vu pleurer en regardant un cliché pris plusieurs années auparavant. Elle se souvenait de l’émotion intense qui avait entourée cette prise de vue.
Dorothea Lange : photographe majeure de son époque
L’artiste a incontestablement marqué son époque grâce à des images engagées, témoignant d’une période difficile de l’Amérique.
J’aime cette photographe pour l’humanité et l’empathie que l’on peut ressentir devant ses photos. Car il y a dans le regard de ses sujets un calme digne malgré les épreuves traversées. Elle est capable de saisir la puissance d’un désespoir, d’une résignation passagère… avec toute la force de l’espoir à venir.
Enfin c’est du moins de cette manière que je perçois ses images. Mais je devrais peut-être dire que je « reçois » ses images, tant elles me font l’effet d’une claque… Avec « Migrant Mother », cette émotion est à son apogée pour moi…