Nick Brandt est un photographe animalier dont le travail artistique et créatif très particulier résonne comme un documentaire sur la détérioration de l’habitat animal dans l’Est de l’Afrique. Il photographie exclusivement en noir et blanc.
C’est un peu sans le vouloir que j’ai découvert ce photographe animalier dont la particularité réside dans sa manière de photographier les animaux sauvages d’Afrique de l’Est. Je recherchais alors à enrichir ma culture photographique et je consultais au hasard le travail de photographes adeptes du noir et blanc (technique que j’affectionne particulièrement).
Je suis restée en arrêt, subjuguée, devant la photo d’un éléphant… Mais ce n’était pas pas « juste » une photo d’éléphant, il s’agissait carrément d’un portrait ! Il se dégageait de cette image une sensation incroyable de vérité et de puissance. La proximité ainsi que la maîtrise laissent penser, au premier abord, à une photo animalière de studio ! Et cette ambiguïté est perturbante autant qu’émouvante.
Nick Brandt : biographie
Nick Brandt est né à Londres en 1964 où il a vécut et fait des études de peinture puis de cinéma au Central Saint Martin’s College of Art and Design.
A 28 ans, il s’installe en Californie où il réalise avec succès des vidéos et des clips pour des artistes reconnus.
Sa découverte de l’Afrique
C’est au début des années 90 que Nick Brandt découvre l’Afrique avec le tournage du clip « Earth Song » de Michael Jackson en Tanzanie. Cette expérience le met face à la disparition programmée de l’habitat de la faune sauvage par les actions destructrices de l’Homme. Il est alors profondément marqué par le ravage des terres dont découle peu à peu l’extinction de certaines espèces.
Sa révélation pour la photographie
Après sa première confrontation avec l’Afrique, Nick Brandt recherche un moyen efficace pour faire transparaître toute l’émotion que renvoient ces animaux délogés d’un habitat sans cesse réduit par les déforestations mécaniques ou par le feu, l’urbanisation galopante…
C’est la photographie qui lui apporte le moyen d’être au plus près de l’émotion et de l’animal. Il peut ainsi faire ressortir en substance sa personnalité.
D’ailleurs nous pouvons déjà percevoir dans certaines de ses vidéos, la fibre photographique poindre. Il privilégie des plans dotés d’un cadrage très étudié, d’une composition réfléchie pour un esthétisme affirmé.
Mais le travail de ce photographe ne s’inscrit pas dans le registre de la photographie animale comme nous pouvons l’entendre habituellement.
Sa vision et son exécution sont complexes et demandent quelques impératifs :
- des focales fixes sans téléobjectifs
- de la patience pour inciter l’animal à se rapprocher sans peur et à entrer dans le cadre
- un matériel adapté à l’effet particulier qu’il recherche : un Pentax 67 argentique moyen format disposant d’une grande surface sensible pour des arrières plans flous et des tirages en grand format
- du noir & blanc pour la notion et temps passé et la puissance de l’émotion qui en découle
- du contraste fort pour un rendu unique
Ainsi le résultat donne à voir un travail tellement non conventionnel et d’in intérêt indéniable.
Son implication écologique
Fortement engagé, il crée en 2010 la Fondation Big Life suite à une dramatique expérience : « Son nom était Igor. Pendant 49 ans, il a erré dans les plaines et les bois en Afrique de l’Est, si détendu qu’il m’a permis de venir très près pour faire son portrait. Deux ans plus tard, en octobre 2009, il a été tué par des braconniers pour son ivoire. Voyant plusieurs de ses frères tués de la même manière presque chaque semaine dans l’écosystème Amboseli, et ne pouvant plus rester assis et permettre que la destruction continue, j’ai cofondé la Big Life Foundation en 2010 avec l’un des plus respectés écologistes en Afrique de l’Est, Richard Bonham. L’objectif est de protéger une zone massive de l’écosystème Amboseli / Tsavo / Kilimandjaro à cheval sur le Kenya et la Tanzanie, où Igor avait vécu. » (Nick Brandt)
Le rôle de la fondation est double : lutter contre le braconnage (et le trafic d’animaux sauvages) et sauver l’habitat sauvage des grands mammifères de l’Afrique de l’Est de l’urbanisation grandissante.
Les portraits animaliers de Nick Brandt
Nick Brandt conçoit ses photos comme des portraits studio. Il capte le regard comme il le ferait avec une personne. Et c’est de ce regard que naît l’émotion.
Il peut demeurer plusieurs jours ou semaines dans un lieu afin de se faire admettre par les animaux qui habitent ces terres. Il ne conçoit pas de prendre une photo au super téléobjectif. C’est la proximité qui prime dans son travail.
C’est pourquoi nous avons l’impression que les grands mammifères d’Afrique, que sont ses modèles, posent devant l’objectif. Son studio, c’est la nature elle-même.
« Les extraordinaires photographies de Nick Brandt dressent le portrait des animaux tels que le premier environnementaliste américain, Henry Beston, les voyait, c’est-à-dire non comme nos subalternes, mais en tant qu’«autres nations», camarades «prisonniers comme nous de la splendeur et du travail de la terre». »
Peter SINGER, philosophe, fondateur des mouvements modernes de droits des animaux
En regardant ses images, nous sommes saisi par l’immense respect que le photographe porte à ces animaux majestueux. Il n’y a aucun doute possible à ce sujet.
Il les photographie avec dignité. Ils posent dans leur environnement naturel comme un témoignage de ce qu’ils sont, sur leurs terres en péril.
Le travail de Nick Brandt
Le photographe engagé qu’il est pour la préservation des terres où vivent les animaux ne peut que proposer un travail en conséquence.
La trilogie (2001-2012)
Le photographe a réalisé une trilogie aux images éblouissantes de vérité et de sentiment :
- « On this Earth » (« Sur cette Terre »)
- « A shadow falls » (« Une ombre tombe »)
- « The ravage land » (« La terre ravagée »)
Ce travail qui s’étale sur un laps de temps relativement long (11 années) témoigne des changements néfastes qui s’opèrent dans cette partie Est de l’Afrique. Le dernier opus se révèle être un témoignage très pessimiste ; à l’image de ce qui se produit là-bas.
D’ailleurs, si vous faites attention, les trois titres juxtaposés composent une sorte de phrase : « Sur cette Terre une ombre tombe : terre ravagée. »
« Mon travail est à mi-chemin entre le portrait individuel d’animaux qui m’attirent pour ce à quoi ils ressemblent, pour leur personnalité ; et leur habitat, ces grands panoramas qui disparaissent à vue d’œil. Je me suis retrouvé dans l’urgence de capturer tout cela car même depuis huit ans que je fais cela, j’ai vu des choses disparaître. »
Nick Brandt
« Inherit the dust » (2014-2016)
Avec ce travail, Nick Brandt continue de dénoncer la disparition de l’habitat des animaux sauvages et donc leur propre extinction à terme.
Pour cela il passe par le biais de d‘installations physiques et de clichés panoramiques. Il installe de grands panneaux sur lesquels sont collées les photos d’animaux, grandeur nature. Il s’agit de photos inédites prises au cours des années précédentes.
Ces installations sont mises en place là où auparavant vivaient les animaux ; avant d’être délogés par l’Homme et son expansion démesurée.
A l’aide d’impressionnantes photographies panoramiques, il immortalise les anciennes étendues sauvages devenues chantiers de construction, terrains industriels et décharges d’immondices. Apparaissent les installations photographiques des animaux. Il les replace ainsi sur leurs terres.
Nick Brandt propose une vidéo intitulée « Behind the scenes » (en anglais mais avec la possibilité de sous-titres en français) qui vous emmène dans les coulisses de ce monumental projet.
Au-delà du travail artistique et photographique pur, il s’agit d’une approche écologique engagée. Chaque image a l’effet d’un électrochoc !
« This empty world » (2017-2018)
Pour la première fois Nick Brandt utilise la couleur pour ses clichés. Son travail va encore plus loin dans la description de la désolation. Cette fois il associe l’Homme comme victime, aux côtés des animaux, des dégradations faites à un environnement commun ; chacun étant pareillement impacté au final. L’impuissance et la résignation de chacun peuvent se lire.
Le procédé créatif tient en la superposition de deux images prises à des périodes différentes mais avec la même position de l’appareil afin de n’en faire plus qu’une.
Le rendu est doté d’un grand pouvoir émotionnel.
L’oeuvre de Nick Brandt
L’oeuvre de Nick Brandt me touche beaucoup autant esthétiquement que humainement. Elle est un témoignage puissant d’une évolution qui ne va certainement pas dans la bonne voie.
Pour prendre ce genre de photos, au-delà d’être photographe, il faut savoir observer le monde patiemment ainsi que ses habitants… tous ses habitants.
Je termine avec une photo impressionnante pour le message pitoyable et pessimiste qu’elle véhicule.
Vingt-deux rangers de la Fondation Big Life sont photographiés tenant des défenses d’éléphants tués par des braconniers. Pour leur ivoire, près de 35 000 éléphants sont massacrés chaque année en Afrique. Les deux défenses, au premier plan, valent à elles seules environ un demi-million de dollars sur le marché chinois.
Je pense qu’une expo de Nick Brandt est un incontournable. Une telle expérience avec des photos de 2 mètres de hauteur ne peut être dédaignée. C’est pourquoi je dépose un lien vers les expos du photographe à venir.
Même si vous ne pouvez pas prendre des photos comme Nick Brandt (voyage et logistique accessibles qu’aux photographes professionnels), sachez que s’inspirer d’un grand photographe comme lui est un atout. Ces compositions, sa technique, sa créativité sont autant de leviers sur lesquels vous pouvez travailler pour progresser.